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ANALYSE DE TRAITEMENT DE LA SÈVE

VISANT À ÉLIMINER LE GOÛT DE BOURGEON DANS LE SIROP D’ÉRABLE.

Le sirop au goût de bourgeon est difficile à mettre en marché dans les conditions actuelles de vente. Ce manque de popularité se reflète aussi dans le prix offert pour ce type de sirop dans la convention de mise en marché : 1,80 $/lb s’il est pasteurisé et 1,25 $/lb s’il ne l’est pas. Cette dernière option a été mise à l’essai pour la récolte de 2019 suite à des réponses favorables des marchés observés lors de l’émission d’un communiqué de vente spécial émis par les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ). Malgré ces travaux de développement des marchés, certains acériculteurs et conseillers acéricoles tentent de modifier leur sirop d’érable de fin de saison afin d’en améliorer les propriétés organoleptiques et d’éviter la production de sirop de bourgeon. Bien que ces efforts soient louables, il appert qu’ils créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Les pratiques décrites plus bas ont en effet mené les acheteurs de sirop d’érable à se méfier de certaines catégories de défauts. C’est dans ce contexte que le Centre ACER a été appelé à étudier certaines techniques de prévention utilisées sur le terrain ou retrouvées dans la littérature scientifique du milieu alimentaire et acéricole.

Qu’est qui cause le goût de bourgeon?

Avant de travailler à l’élimination d’un problème, il importe généralement d’en connaître la cause afin de s’y attaquer efficacement. Ainsi, des travaux analysant les propriétés physico-chimiques de la sève menant à la production d’un sirop d’érable au goût de bourgeon ont été menés par le Centre ACER de même que par l’Université Laval. Ces travaux ont permis d’établir une corrélation solide entre la présence d’acides aminés et le goût de bourgeon en plus de lier ces acides aminés à la levée de la dormance des érables.

Il apparaît pertinent de souligner que toute approche visant à empêcher le développement du goût de bourgeon devrait avoir un effet notable sur les acides aminés compte tenu du lien entre ces composés dans la sève et cette saveur particulière dans le sirop d’érable.

Comment identifier le sirop bourgeon?

Afin de pouvoir décrire le sirop de bourgeon de façon quantitative, il est apparu nécessaire d’identifier un marqueur chimique du goût de bourgeon. Ce marqueur chimique n’explique pas à lui seul le goût de bourgeon, mais sa présence dans un sirop d’érable permet de le classifier comme bourgeon de manière presque systématique. La molécule identifiée comme marqueur chimique du goût de bourgeon par les chercheurs du Centre ACER est le diméthyldisulfure, aussi appelé DMDS. Ainsi, plus le DMDS est abondant dans un sirop d’érable, plus le goût de bourgeon est prononcé.

Qu’est que le « traitement » de la sève ou du concentré de sève?

Le traitement de la sève ou du concentré de sève consiste en n’importe quelle intervention appliquée sur la sève qui dévie des pratiques standards de production (récolte, concentration et évaporation dans un temps relativement court). Dans le cas qui nous occupe, ces pratiques sont effectuées dans le but d’empêcher le développement ou de masquer le goût de bourgeon dans le sirop d’érable. Les pratiques sur le terrain que nous avons étudiées impliquent généralement un mécanisme d’aération ou de brassage visant à augmenter la teneur en oxygène de la sève afin de favoriser le développement des micro-organismes dans celle-ci ou d’en oxyder certains composants. Cette pratique peut aussi viser à développer les sucres invertis dans la sève ou le concentré de sève. Il importe ici de souligner que ces pratiques ont été développées alors que les informations sur le lien entre les acides aminés n’étaient pas encore connues; elles visaient plutôt à s’attaquer à un lien perçu sur le terrain entre la production de sirop de bourgeon et les conditions typiques des érablières performantes :

  • système de récolte étanche et opéré à haut vide;
  • système de collecte et de transformation très propre;
  • transformation rapide de la sève en sirop d’érable.

En pratique, les traitements de la sève développés sur le terrain impliquent généralement une recirculation de la sève ou du concentré de sève par une pompe. Cette recirculation peut se faire par des tuyaux perforés, des colonnes de dégazage provenant de l’industrie piscicole ou encore des fontaines. L’utilisation de l’injecteur d’air dans les bassins de sève a aussi été rapportée, mais cette pratique nous apparaît la plus problématique compte tenu de l’enjeu lié à la qualité de l’air utilisé pour alimenter ces appareils.

Les projets de recherche

Afin d’étudier l’effet des traitements de sève et de concentré de sève sur les propriétés du sirop d’érable résultant de l’application de ces techniques, trois projets ont été mis sur pied :

Étude en laboratoire : Cette étude a permis d’analyser plusieurs types de traitements, dont différents patrons d’aération et de recirculation avec ou sans interaction avec des micro-organismes. Le tout a été fait en conditions hautement contrôlées en laboratoire, sur des sèves qui produisaient de manière fiable un sirop faiblement bourgeon. Différents taux d’oxygène dissout et de sucre inverti ont été atteints lors de ces procédés. Tous les traitements ont été répétés deux fois afin de valider leur fiabilité et des analyses physico-chimiques et sensorielles des sirops d’érable produits ont permis de bien caractériser la situation.

Étude de cas : Cette étude a permis de constater les effets d’un traitement sur des concentrés de sève à différents °Brix tel qu’appliqué par un producteur acéricole. Divers temps de recirculation à haut débit dans le bassin de concentré ont été appliqués par le producteur. Afin de valider l’efficacité du traitement, un échantillon de sirop d’érable était produit dans un petit chaudron avant l’application du traitement; il était ensuite possible de valider l’efficacité de celui-ci en comparant le sirop produit suite à l’aération au témoin non aéré. Les sirops d’érable ont été soumis à des analyses physico-chimiques et sensorielles en plus de faire l’objet d’une étude de stabilité sur 6 mois.

Étude exploratoire : Cette étude, menée en partenariat avec un conseiller acéricole, a permis de récolter plusieurs sirops d’érable de mi-saison et de fin de saison. Ces derniers ont été produits avec différentes techniques visant à prévenir le développement du goût de bourgeon, notamment par l’aération et la modulation des paramètres de l’évaporateur de manière à augmenter le temps de résidence dans celui-ci. Les sirops d’érable ont été récoltés par le conseiller puis analysés par le Centre ACER dans un contexte d’étude de stabilité. Ainsi, les analyses physico-chimiques et sensorielles ont été réalisées dès la réception, suite à la pasteurisation (pour permettre un entreposage stable à température pièce et pour mesurer l’effet de cette étape de production) et après 6 mois d’entreposage.

Ce qu’on peut conclure de l’effet des techniques d’aération/fermentation de la sève ou du concentré de sève sur la qualité du sirop d’érable

Les projets présentés ci-haut ont permis d’étudier les effets de l’aération de la sève ou du concentré de sève sur la production de sirop d’érable présentant des goûts de bourgeon de faible intensité de même que des teneurs en DMDS plutôt faibles. Les traitements étudiés avaient parfois un effet à la baisse sur la teneur en acides aminés et du DMDS dans les sirops, mais ne permettaient pas leur élimination complète. Aussi, ces traitements pouvaient parfois, mais de manière non répétable, modifier la cote de saveur du sirop par rapport au témoin (le plus souvent de √R5 à √R4 lorsqu’il y avait des changements). Ce manque de répétabilité permet d’affirmer que les traitements favorisés sur le terrain sont mal paramétrés et peu maîtrisés.

De plus, les sirops étudiés présentaient une nouvelle problématique : la réapparition du goût de bourgeon suite à une période d’entreposage somme toute assez courte (6 mois). En somme, certains des sirops produits à l’aide des techniques d’aération étudiées présentaient une cote de saveur non-bourgeon (OK, √, √R1 ou √R4) à la sortie de l’évaporateur alors qu’ils goûtaient le bourgeon après quelques mois d’entreposage. Bien qu’il soit impossible de quantifier cette instabilité de manière fiable à ce jour, l’étude exploratoire permet tout de même d’affirmer que cette problématique est bien réelle et non négligeable. En effet, 3 % des 96 sirops reçus dans cette étude goûtaient le bourgeon à leur réception. Cette proportion a monté à 13 % après la pasteurisation et un entreposage de 6 mois. D’autres occurrences de retour du goût de bourgeon suite à la commercialisation du sirop ont été rapportées; cette évolution de la saveur durant l’entreposage a déjà mené à un rappel de produit.

Devant l’effet limité des traitements de la sève sur les acides aminés (précurseurs présumés du goût de bourgeon), le manque de répétabilité des traitements témoignant de paramètres de traitement mal définis et l’instabilité de la saveur produite à l’aide de ces techniques, il est impossible pour le Centre ACER de recommander cette approche à l’heure actuelle. Toutefois, les travaux de recherche se poursuivent dans le but de mieux comprendre le sirop de bourgeon et les facteurs menant à sa production dans l’espoir de trouver une solution à cette problématique.

Auteur : Martin Pelletier, ing. f. avec la collaboration de Fadi Ali, ing., Ph. D., Luc Lagacé, Ph. D. et Nathalie Martin, chimiste, Ph. D.

https://www.centreacer.qc.ca/